Un bus Marocain sur le parking du Comité économique (péripéties syndicales) Par J-Paul Pelras

Lorsque certaines personnes découvrent ces chroniques évoquant quelques élucubrations champêtres passées, ils s’interrogent tout d’abord sur la véracité du propos, optant pour le canular ou la narration romancée. D’autres se prennent à rêver en se disant que ce genre d’action manque de nos jours pour étayer les revendications syndicales jugées trop calibrées, trop consensuelles, trop prévisibles, trop bien organisées. Quelques-uns enfin, outrés par des méthodes quelque peu rugueuses et discourtoises, regrettent l’impunité dont nous avons parfois bénéficié. Et pourtant, ne fallait-il pas oser pour essayer de faire entendre nos préoccupations ? Oser, pour la cause et sans, finalement, se poser trop de questions. Comme cette fois-ci dans les locaux de ce que l’on appelait alors le Comité économique Languedoc Roussillon établi rue de Milan à Perpignan.

Marchandises détruites

Nous sommes au cœur des années quatre-vingt-dix et, encore une fois, rien ne se vend. En tomates, concombres, pêches, abricots, artichauts, les mercuriales, comme ce fut le cas pour la salade précédemment, subissent de plein fouet les effets d’une compétition déloyale inédite. Les marchandises sont détruites sur champ, labourées ou jetées au retrait. L’ambiance est lourde, il faut actionner des plans campagne et solliciter l’aide publique qui commence à répondre avec des semaines de retard. Dans la salle, maraîchers, arboriculteurs et négociants échangent sur les pertes et sur les perspectives qui sont tout aussi préoccupantes. L’Espagne est présente sur la quasi-totalité des marchés et, du moins hors zone de production, sur la plupart des étals. Des opérations surprises de « contrôle et de sensibilisation » quasi journalières sont conduites dans les Pyrénées-Orientales, dans l’Aude, dans l’Ariège, dans l’Hérault, dans le Gard…

Autobus

Les rayons sont inspectés. Prix, provenance, calibre, tout y passe et termine sur le carrelage quand la préférence nationale n’est pas respectée.
Les agriculteurs conscients des limites de leurs actions sur le comportement des distributeurs savent que, partout ailleurs en France, la grande braderie continue avec des produits importés vendus à des prix défiants toute concurrence. Et la devise des 3 R, « rabais, ristourne, référencement » auquel beaucoup rajoutaient sans hésiter le mot « racket » tient en respect bon nombre de paysans, engagés auprès de leurs clients si peu vertueux soient-ils.

C’est donc dans ce contexte, à la tombée de la nuit, qu’un autobus se gare sur le parking du Comité économique. Les phares se reflètent dans les vitres teintées du grand bâtiment. Claude demande au directeur de l’organisme qui sont ceux qui descendent, décontractés, du véhicule. Hésitant, le responsable finit par répondre : « Ce sont des Marocains, producteurs et techniciens, invités à visiter des exploitations et des structures dans le cadre d’un accord de coopération entre leur pays et la France. »

« Sinon, vous êtes licencié ! »

Spontanément, le maraîcher de Néguebous, connu et redouté tant pour son franc-parler que pour la lucidité de ses analyses, demande au directeur : « C’est avec les cotisations prélevées sur ce que nous produisons que nous finançons votre poste afin que le marché puisse être maintenu. Nous ne vous payons pas pour former ici, à domicile, nos concurrents et leur permettre, demain, de venir nous ruiner comme ils le font, entre autres, avec la tomate depuis des années. Donc vous allez sortir. Vous allez leur demander de remonter dans ce bus et de ne plus refoutre les pieds ici. Sinon vous êtes licencié ! » Ce soir-là, comme ils sont arrivés, les phares repartirent tout aussi lentement. Je me suis souvent dit par la suite et alors qu’au sein du Medfel perpignanais les importateurs allaient être accueillis à bras ouverts, qu’il aurait fallu, parmi nos dirigeants syndicaux, consulaires, institutionnels et politiques, beaucoup de maraîchers comme celui de Néguebous. Hélas, nous en avons manqué cruellement. Le Maroc a exporté 424 690 tonnes de tomates vers la France entre octobre 2022 et septembre 2023.

Jean-Paul Pelras

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