Péripéties syndicales : Des palettes à l’Oniflhor

Le 26 avril dernier, des maraîchers ont effectué plusieurs visites surprises dans des supermarchés d’Agen, de Rennes, de Brest, d’Avignon pour y constater la présence de tomates marocaines. Et ce, quatre jours seulement après le déplacement du ministre de l’Agriculture française et de quelques « délégations » au Salon International de l’Agriculture de Meknès (SIAM) où Marc Fesneau était venu ratifier quelques nouveaux accords, en présence de son homologue Mohamed Sadiki. Entre-temps, à la Sorbonne, Emmanuel Macron rappelait : « Il est insensé que l’agriculture soit la variable d’ajustement des accords commerciaux… » Trente ans et peut-être davantage que cette petite musique résonne à nos oreilles, comme une berceuse imaginée pour endormir celui qui sourit encore quand il tombe. 30 ans que les maraîchers de France dénoncent ces petits arrangements géopolitiques où ils sont régulièrement sacrifiés sur l’autel du libre-échange et du moins disant social.

Revenons au milieu des années quatre-vingt-dix. Avant de fusionner avec l’Onivins et, in fine, en 2009, d’être absorbé par FranceAgrimer, l’Oniflhor était cogéré par l’État et l’interprofession. L’Office gérait les dossiers de demandes de subventions concernant notamment la construction des serres, sachant, et il faut le rappeler en permanence, qu’aucune aide directe, donc à produire, n’était attribuée aux producteurs, contrairement à d’autres secteurs d’activité.
Paiements en retard, zèle administratif, chicaneries politiciennes, et autres complexifications ubuesques venaient alors régulièrement freiner l’évaluation des demandes, de surcroît dans un contexte où le marché était une nouvelle fois totalement plombé par le jeu des importations déloyales.

Nous prenons le train à Perpignan avec une halte à Avignon où nous rejoignent les Provençaux. Depuis quelques années et notamment grâce à la Commission fruits et légumes Méditerranée, très active au sein du CNJA malgré l’agacement de cette structure nationale, nous avions tissé des liens avec les maraîchers et les arboriculteurs du Gard, des Bouches du Rhône, du Var, du Vaucluse, de Corse… Direction Montreuil, en Seine Saint Denis, siège de l’Oniflhor où nous avions fait livrer, depuis Rungis, plusieurs palettes de tomates et de melons.
L’effet de surprise fut, une nouvelle fois, total. Au bas de l’immeuble et car nous n’avions pas de transpalette sous la main, la cinquantaine de maraîchers forme une chaîne et remplit l’ascenseur avec ce qui venait d’être livré. Les accès qui conduisent à l’étage de ladite administration sont rapidement bouclés avec, ironie du sort, la marchandise qui leur permettait de justifier sa fonction.

Un cadeau de la profession destiné à ceux qui, à défaut d’avoir mis un jour les pieds dans un champ ou dans un verger, pouvaient vérifier in situ la qualité de la production. S’ensuivirent quelques cris, quelques rencontres plus ou moins consenties, l’arrivée des archers du Roy au bas de l’immeuble, des négociateurs et leurs talkies-walkies, la presse, quelques dossiers défenestrés, quelques armoires soulagées de leurs circulaires inutiles et, pour nous avitailler car coincés dans l’immeuble et dans l’incapacité de nous rendre dans la supérette d’à côté, ce qu’il nous restait de charcuterie non consommée dans les wagons. C’est dire s’il fallait quelquefois payer de sa personne quand, par solidarité avec le personnel retenu, nous étions contraints au jeûne, à l’abstinence, à la frugalité, à la privation.
En fin d’après-midi, un rendez-vous fut accordé au ministère, rue de Varennes. Ensuite, nous avons repris le train sans, bien sûr, car nous étions bien éduqués, reprendre ce que nous avions fait livrer. Dans les semaines qui suivirent, certains dossiers furent instruits avec un peu plus de diligence. Moralité : ne jamais négliger ni la distance, ni la prévenance.

Jean-Paul Pelras

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *