Les “gros mots” de Jean-Paul Pelras : L’hommage et la mémoire

Qu’ils furent nombreux les hommages nationaux rendus par le premier d’entre nous aux personnalités parties pour trop longtemps de l’autre côté du chronomètre lors de ces 10 dernières années. De Johnny Hallyday à Jean d’Ormesson, qui eut droit à son crayon à papier déposé sur le cercueil et qui, selon sa propre analyse, eut la mauvaise idée de nous quitter le même jour qu’une star, en passant par Claude Lanzmann, Jean Daniel, Charles Aznavour, Jean-Paul Belmondo, Jacques Chirac, Jean Cordier, Hélène Carrère d’Encausse, Michel Bouquet, Gisèle Halimi, Jacques Delors ou Philippe de Gaulle… Emmanuel Macron enchaîna ces instants de solennité qui, à défaut de séduire, ont pu quelquefois rassembler.

Rassembler derrière cette émotion qui convoque le souvenir de quelques célébrités contemporaines. Celles qui nous ont gouvernés, qui se sont battues et nous ont accompagnés pendant des décennies dans notre quotidien. Celles qui nous ont tout simplement fait rêver, lire, chanter ou danser quand notre jeunesse était synonyme d’insouciance et de liberté. Sans oublier, bien sûr, ces héros qui, d’Arnaud Beltrame à Samuel Paty et tous les militaires tombés au combat, ont payé de leur vie leur engagement pour la République.
« Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège ! » disait Malraux, la voix crépitante, presque christique, lorsqu’il installa, pour l’éternité, le célèbre résistant au Panthéon. Manquaient à Macron « le timbre » et peut-être cette part consubstantielle d’héroïsme qui fait les grands noms de l’histoire pour renouveler l’exploit de l’écrivain, homme politique, aventurier et intellectuel français avec les hommages rendus à Simone Veil, Joséphine Baker, Maurice Genevoix, aux époux Manouchian et probablement bientôt à Robert Badinter.

Les commémorations concernant les 80 ans de la Libération fournissent au chef de l’État, comme ce fut le cas le 7 avril dernier à la Nécropole nationale des Glières, de nouvelles occurrences qui lui permettent de faire passer quelques messages politiques tout en légitimant, pour ainsi dire urbi et orbi, le discours présidentiel. Me revient à ce propos et allez donc savoir pourquoi, ce passage du Notre père : « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire… » Oui, allez savoir pourquoi ?
Nonobstant ce souvenir de catéchisme murmuré désormais lors des enterrements, revenons vers ces grands moments où le tribun n’est jamais interrompu, où il capte par procuration la lumière de ceux qui ont exalté l’histoire, quand le politique, au bout du compte, n’a jamais vraiment su la magnifier. Prestations solennelles et d’autant plus confortables que, la plupart du temps, le héros n’est plus là pour donner son avis, modifier le texte, déplacer la virgule, exprimer son approbation ou formuler une quelconque opposition. Emballé, c’est pesé, les mots sont choisis, taillés dans du pisé, gravés dans le marbre, datés, signés, ad vitam aeternam consacrés et, comme il faut prolonger un peu les festivités, in fine, félicités.

Certains historiens ou observateurs n’hésitent pas à parler de mésusage de l’histoire pour évoquer l’abus de commémorations et la surreprésentation quasi suspecte de celui qui les prononce. Rappelons qu’Emmanuel Macron en sept ans de présidence a rendu 28 hommages nationaux, contre 16 pour François Hollande en cinq ans, quatre pour Nicolas Sarkozy également en cinq ans, six pour Jacques Chirac en 12 ans et trois pour François Mitterrand en 14 ans (sources Ouest France). Alors, est-ce que, concernant cette inflation d’égards, Emmanuel Macron en fait-il trop ? Au regard de l’histoire peut-être pas. Au regard du contexte actuel, certainement. Car quand une actualité, aussi dramatique soit-elle, chasse l’autre, le passé ne peut pas toujours servir à expliquer, voire à prophétiser le présent, en exonérant de toute responsabilité ceux qui sont censés le décider.

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